Le secteur de l’informatique et des technologies de l’information devrait être un secteur porteur, dans un pays où l’on vante « l’innovation » et où l’on souhaite voir se développer une « économie numérique ». Hélas, la situation des salariés ou indépendants de ce secteur n’est pas préservée de la tourmente de la mondialisation, bien au contraire. Elle fait craindre pour l’avenir.
« Stress, souffrance psychologique, manque de reconnaissance… Cette situation semble être fréquente dans les SSII.«
« Le stress était perçu jusqu’à présent comme intrinsèque à nos métiers », constate Régis Granarolo, président du Munci, l’association professionnelle des informaticiens. Il est lié à la « surcharge de travail et à un sentiment d’urgence très courant, à une course à la productivité, à une industrialisation des services », poursuit-il. Et aussi à l’isolement quand on travaille chez le client, parfois pendant des années, et qu’on ne sait plus qui est son responsable. »
Quelques mois plus tôt, Technologia avait donné une analyse de la situation dans les SSII, pour la revue professionnelle 01net
Technologia : « Les SSII connaissent une recrudescence de suicides »
En quoi les SSII sont-elles particulièrement exposées ?
C’est une combinaison de plusieurs facteurs.Première spécificité des SSII : le management à distance. Consultants et hiérarchiques ne se voient plus. Il n’y a plus d’échanges, de moments de cordialité. Le salarié prestataire traite de problèmes parfois très complexes tout en restant seul. Or les gens qui passent à l’acte sont souvent isolés.
Deuxième spécificité, la menace de l’offshore. Si tu ne fais pas ton travail, « on le donne aux Indiens ». L’offshore introduit un débat éthique. Les informaticiens français sont en concurrence avec des équipes lointaines tout en s’interdisant d’évoquer un quelconque protectionnisme. Il faut former des personnes en Inde, à distance, reprendre souvent leur travail, puis laisser la place.
Les évolutions rapides de ces sociétés sont aussi responsables de la situation. Les SSII se mondialisant, on assiste à une interpénétration des cultures. Les comportements latins cognent avec les mœurs anglo-saxonnes. N’oublions pas non plus les transformations incessantes. Quand une SSII multiplie les restructurations en quelques années, il faut qu’elle accompagne ses salariés de façon humaine. Ce qui n’est pas souvent le cas : en France on se borne souvent à considérer que les gens sont heureux du moment qu’ils ont un job.Enfin, le manque de régulation conduit à ces organisations délétères. Les syndicats sont peu représentatifs en SSII et pèsent difficilement dans les équilibres de ces sociétés composées essentiellement de cadres.
Et puis il y a la spécificité de l’intercontrat…
Une SSII développe son marché intérieur de l’emploi. Les affectations se font par copinage avec le chef. S’ils ne savent pas se vendre, de très bons professionnels restent en intercontrat durant des mois. C’est dévastateur. On souffre autant, si ce n’est plus, de sous-activité que de suractivité. D’autant que, dans ces métiers, la compétence est liée à la pratique. En restant sur le flanc, on devient vite obsolète.
Dans le même ordre d’idée, les anciens sont souvent considérés comme moins pointus techniquement. Ils coûtent cher et sont peu malléables. Il faut donc épuiser les jeunes cohortes d’informaticiens et pousser les seniors sur la touche. La concurrence interne crée un climat délétère. Le salarié doit être également maître de son employabilité. Votre service disparaît du jour au lendemain ? A vous de créer votre poste…Dans ces sociétés, chacun est un centre de profit à lui tout seul. Il faut tenir les objectifs de productivité individuels couplés à de multiples reporting. Non seulement cela use les esprits mais on perd en échanges informels, en intelligence collective.
Et les seniors ?
Comment les SSII poussent leurs seniors vers la sortie
Dans ces métiers, on est jugé « senior » parfois à partir de 35 ans (affirmation d’une DRH de SSII sur un site professionnel).
Mais seules les « grosses » SSII font l’objet d’articles de presse. Quant à ce qui se passe dans les plus petites, nul ne le sait. Pas de syndicat, salarié isolé en détachement. Le silence.
Et la lutte contre le stress ?
On en parle dans les médias. Mais les actions du ministère du travail semblent des coups d’épée dans l’eau.
Stress au travail : la liste noire des entreprises IT
Sans surprise, les entreprises high-tech sont « bien représentées ». Nous en avons dénombré 36 avec une prédilection pour les SSII (GFI, Accenture, Teamlog…), les spécialistes de la R&D externalisée (Assystem, Coframi, Ausy…) et quelques éditeurs (Cegid, SAP, CA…)
Les SSII, seules responsables ?
Elles ont affaire à des conditions imposées par leurs clients de plus en plus intenables (Le Syntec Informatique veut enrayer la chute du prix des services).
Le « cost-killing » rabote les marges des sous-traitants, et leur impose de positionner des personnes inexpérimentées à des postes qu’elles ne pourront pas tenir, ou de se débarrasser des plus expérimentés. Ou elles se retrouve « acculées » à pratiquer de l' »offshore » (même si c’est parfois pour augmenter les marges qu’elles recourent à ce genre de pratique).
Même les entreprises ayant l’Etat comme actionnaire majoritaire pratiquent cette politique, poussant l’activité à l’étranger. Les aspects « qualitatifs » du travail effectué, les compétences mises en œuvre, la satisfaction du « client », l’investissement sur le long terme, rien de tout cela ne rentre dans la balance (c’est un des points que soulève Alain Soupiot).
L’externalisation de leur activité vers une société de service rencontre généralement l’hostilité des salariés d’un groupe industriel ou de services (Les salariés d’Alcatel-Lucent refusent d’être externalisés chez HP).
C’est pourtant une pratique de management « à la mode », préconisée par de nombreux cabinets de conseil influents, que l’externalisation de la R&D informatique (et autre).
Se mettre à son compte ?
Les politiques d’achat des grands groupes définissent un système de référencement des sociétés de prestation de services, qui interdisent de plus en plus l’accès des indépendants et des TPE à leur marchés (l’inverse d’une politique de « Small Business Act »).
Un indépendant devra donc être porté, si le client final autorise cette solution ( Une direction des achats interdit le recours aux indépendants et au portage salarial).
De toute façon, maillon en bout de chaîne, il subira le maximum de pression (Indépendants : l’autre variable d’ajustement des SSII).
Travaillant en indépendant, il devra considérer dans son forfait journalier l’ensemble des charges sociales, le temps dévolu à la prospection commerciale (50%), sa formation, ses frais et ses périodes d’inactivité. Il n’a pas droit aux allocations chômage ni à la plupart des dispositifs d’aide aux personnes en recherche d’emploi. La « fin du salariat » n’est pas forcément très avantageuse, même si certains responsables patronaux la préconisent.
S’expatrier ?
Parfois, on peut en rêver: L’Australie, l’autre terre promise de l’emploi IT
Références
- A la recherche de notre identité économique: les fleurons nationaux
- Petits avantages, grandes inégalités
- Et si l’industrie n’était pas la plus menacée par les délocalisations ? (SSII partie 3)
- SSII : Bolkesteinisation et prêt de main d’oeuvre (partie 2)
- Quand la hi-tech et l’industrie partagent les mêmes maux… (partie 1)
- La grande casse des seniors, mal français ?
- Les français et l’économie: une nation de schizophrènes?
- Pour les fêtes, honorons le dieu PIB et son rejeton croissance
- Fausse innovation, destruction créatrice, vraie souffrance… et la pub encore! (2/2)
- Fausse innovation, destruction créatrice, vraie souffrance… et la pub encore! (1/2)
- Externalisation des emplois industriels, précarisation des salariés
- Réforme de la TP et délocalisations de services
- Dossier offshore en France : pas encore le raz-de-marée, déjà plus qu’un épiphénomène
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L’analyse d’Erik Izraelewicz : Industrie, le retour des vieilles lunes
Très très intéressant, merci !
Sur le passage final au sujet des indépendants : « Il n’a pas droit aux allocations chômage ni à la plupart des dispositifs d’aide aux personnes en recherche d’emploi. » … par ailleurs il a une retraite très faible (moitié moindre qu’un salarié ? estimation très pifométrique) et des cotisations retraites proportionnellement plus faible.
Tout ceci c’est du « pouvoir d’achat différé en moins », que le client ne paye donc pas. Sauf si l’indépendant est en position suffisamment forte pour « s’auto-assurer » en majorant ses prix de vente d’autant. Mais la pression court-termiste intrinsèque au marché libre des prestations, l’en empêche habituellement.
Le statut libéral a été pensé pour des personnes capables de constituer un « cabinet » constituant une marque ou un petit monopole local (médecins, architectes, etc. etc.) ; à la fois cela l’assure contre le chômage, et cela assure sa retraite – en revendant son cabinet, « sa clientèle » ou patientèle.
L’informaticien ou le consultant libéraux ont rarement une position aussi favorable, je n’en connais pas qui soient parvenus à « revendre leur clientèle ».
Ceci dit sans sous-estimer les avantages de l’indépendance, mon statut depuis 14 ans.