Quand les abeilles inspirent les économistes (et les politiques)

En cette période de crise économique, le rôle de pollinisation des abeilles sert à certains économistes de métaphore. Yann Moulier-Boutang défend une transformation en profondeur de l’économie politique, fondée sur l’idée de la « société pollen ».  Cette analyse a été exploitée par Cohn-Bendit, avec succès.

« Il y a donc une certaine logique dans le fait qu’en cette époque de crise du modèle économique, les abeilles redeviennent des exemples. »

La cigale, la fourmi, les abeilles et Cohn-Bendit

Et si Dany le Rouge avait remporté les européennes parce qu’il a tout compris à la pollinisation ?

11.06.2009 | Josep Maria Ruiz Simón | La Vanguardia

Saint Augustin disait qu’un bon exemple est plus instructif qu’un discours subtil. Cette façon de voir les choses a favorisé dans la littérature universelle une abondance de fables édifiantes ayant pour héros des insectes et autres animaux, qui éclairent sur les secrets de l’économie politique. L’une des plus célèbres de ces fables est La Cigale et la Fourmi, attribuée à Esope et reprise, entre autres, par La Fontaine. De nombreuses générations ont assimilé en l’écoutant les vertus de l’épargne et y ont appris que le labeur est récompensé et la paresse, punie. A l’époque où La Fontaine composait sa version de la fable, les abeilles à miel étaient devenues le modèle même de la productivité idéale. On peut les voir dans ce rôle dans le Novum Organum, de Francis Bacon [philosophe britannique du xviie siècle] et dans La Bataille des livres, de Jonathan Swift [l’écrivain et satiriste anglo-irlandais du xviiie siècle]. Dans le premier de ces ouvrages, Bacon présente la stratégie de production des abeilles comme la synthèse parfaite de celles de la fourmi et de l’araignée. Dans le second, Swift explique que les abeilles extraient de la nature la matière première du miel qu’elles élaborent, comme les auteurs anciens qu’il encense, alors que les araignées, à l’instar des auteurs modernes, contre lesquels il ferraille, tissent leur toile avec leurs propres excréments.

Il y a donc une certaine logique dans le fait qu’en cette époque de crise du modèle économique, les abeilles redeviennent des exemples. A cette différence près que ce ne sont pas les productrices [besogneuses et disciplinées] de miel qui reviennent en grâce mais les pollinisatrices. Une facette de leur activité négligée par les fabulistes et qui entre dans la catégorie de ce que les économistes appellent les « externalités positives ». On peut les trouver dans ce nouveau rôle dans un livre publié par Daniel Cohn-Bendit dans le cadre de sa campagne réussie pour les élections européennes, intitulé Que faire ? Petit traité d’imagination politique à l’usage des Européens. Il y défend une transformation en profondeur de l’économie politique fondée sur l’idée de la « société pollen », promue par l’économiste Yann Moulier-Boutang. Ils partent du constat que, même si les abeilles fabriquent un produit commercialisable qui fait vivre l’apiculteur, leur travail le plus utile du point de vue économique et social est la pollinisation. Il s’agit d’une analyse fabuleuse qui mérite d’être méditée, et qui attend l’arrivée d’un La Fontaine écolo pour imaginer une fable de l’abeille et de l’apiculteur.

L’Abeille et l’Économiste, par Yann Moulier-Boutang

Présentation sur le site de l’éditeur (extraits)

(c) E.Bilal

(c) E.Bilal

Pour nombre de nos contemporains, la finance est devenue scandaleuse, voire délictueuse. Dans le dictionnaire des idées reçues de notre temps, elle est immanquablement opposée à l’économie dite « réelle », industrielle ou marchande.
Yann Moulier Boutang prend le contre-pied de cette vue de l’esprit : sans finance, pas d’économie, avance-t-il ; en revanche, la finance ne mène pas forcément au chaos. Voyons la crise sous un autre angle que la doxa des économistes à la mode : la crise n’est pas économique, c’est une crise de l’économie ; ce n’est pas une crise de la finance mais une crise de la croissance. L’accumulation de profits s’approche du moment où elle n’a désormais plus de sens ni de légitimité. Nous sommes en train de passer d’une économie de l’échange et de la production à une économie de pollinisation et de contribution.
D’ou ce titre : L’Abeille et l’Économiste. Sans les abeilles, la biosphère dépérirait : pas à cause de la disparition du miel mais à cause de la disparition de la pollinisation. La pollinisation, c’est ce travail invisible et indispensable ― travailler en rhizome, bâtir des réseaux pour créer des ressources naturelles et vivantes ― qui fait que la nature peut se renouveler et que tout le monde y trouve son compte.
Les hommes doivent faire du miel, certes, mais aussi polliniser.

Lecture de « L’abeille et l’économiste »

Par Jean Zin (extraits)

C’est un livre important et très étonnant, surtout dans le contexte actuel, en ce qu’il commence par célébrer le triomphe de la finance, contre l’évidence du présent désastre, mais l’insistance sur sa fabuleuse puissance de création de richesses dans une économie cognitive lui permet de conclure, dans les dernières pages, que c’est donc la finance qu’il faut taxer. La taxation de toutes les transactions bancaires est ici le coeur de la sortie de crise pour le capitalisme cognitif, couplé avec un revenu d’existence, revenu minimum qui peut se cumuler avec un travail. A cela, il faudrait joindre une comptabilité écologique des externalités et une relative extinction de l’Etat qui laisse la plus grande part aux marchés et aux ONG…

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