Curieuse, cette censure de la présentation du logiciel libre, pour l’ exposition sur la contrefaçon, organisée par la Cité des Sciences, en partenariat avec l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle).
Le Logiciel Libre présente une alternative importante aux logiciels « propriétaires », fermés et payants. Ce monde du Libre fournit à tous, à l’aide de très nombreux contributeurs, des logiciels sans « droits d’auteur », avec un code « public ». Les logiciels libres sont très utilisés dans le monde scientifique et technique, de par leur qualité, leur faible coût de possession et la maîtrise des systèmes informatisés qu’ils permettent.
La copie de tels logiciels est « légale ». Dans une exposition traitant de la contrefaçon, il semble intéressant de donner des exemples où la copie est libre, et n’en est pas une, de « contrefaçon ».
Mais, Isabelle Vodjdani, l’artiste chargée de cette présentation du Libre a vu son travail rejeté au dernier moment. Elle en témoigne sur son blog:
Mais le 16 avril 2010, quatre jours avant l’ouverture de l’exposition, j’ai reçu un mail de la commissaire en chef m’informant que mon texte ne pourra pas être diffusé : « notre partenaire principal, l’INPI, est farouchement opposé à ce que l’exposition donne la parole aux défenseurs du « libre ». Nous avons essayé de discuter et d’argumenter avec eux mais l’INPI reste intransigeant sur sa position. Nous sommes donc obligés, avec grand regret, de ne pas présenter votre parole que vous aviez, aimablement, accepté de rédiger et d’enregistrer. ».
Qu’un établissement public cède aux desiderata de ses partenaires financiers et renonce à sa liberté de parole est en soi scandaleux. Mais prétendre informer le public sur la question de la Propriété Intellectuelle sans jamais évoquer le modèle du Libre, pourtant en plein développement, est tout simplement malhonnête et relève d’une entreprise de désinformation. Comment peut-on faire semblant de ne pas voir la montagne Wikipedia et l’Himalaya des logiciels libres qui font désormais partie de notre environnement de travail quotidien parmi tant d’autres bourgeons du Libre ? Ne sont-ils pas des exemples éclatants de la réussite d’un régime de propriété intellectuelle qui garantit la liberté de copier, de modifier et de diffuser des œuvres selon un cadre contractuel parfaitement légal ?
Et pour les curieux, voici le texte censuré:
Le libre, un phénomène en expansion
Dans le cadre du droit d’auteur qui protège les créations littéraires et artistiques, un nombre croissant d’auteurs choisissent de mettre leurs œuvres à la disposition du public avec un type de contrats bien spécifiques qu’on appelle des licences libres. Ces licences autorisent quiconque à diffuser des copies de l’œuvre. Elles l’autorisent également à publier sous sa propre responsabilité d’auteur des versions modifiées de l’œuvre. Ces autorisations sont assorties de deux conditions :
Premièrement, il faut mentionner l’auteur de l’œuvre initiale et donner accès à ses sources
Deuxièmement, les copies ou versions modifiées de l’œuvre doivent être publiées avec les mêmes autorisations.Les œuvres libres sont nécessairement divulguées avec une licence qui garantit ces conditions. Parmi ces licences, on peut citer la GNU GPL, pour les logiciels, et la Licence Art Libre, pour les œuvres culturelles. Le domaine des œuvres libres n’est donc ni une zone de non droit ni assimilable au gratuit. D’ailleurs les anglo-saxons associent le mot français « libre » au mot « free » pour écarter toute confusion, car il y a des œuvres gratuites qui ne sont pas du tout libres, et il y a des œuvres libres payantes.
On parle aussi du « monde du libre » pour désigner l’ensemble des acteurs qui participent à la promotion et au développement du domaine du libre. Ce mouvement s’inspire des usages qui régissent la circulation des connaissances dans les milieux académiques. Mais depuis 1983, ce sont les développeurs de logiciels qui sont à l’avant-garde de ce mouvement et de sa formalisation juridique, car dans ce secteur d’activité la nécessité d’innovation est constante et les utilisateurs ont tout intérêt à mettre la main à l’ouvrage pour améliorer les défauts d’un logiciel ou l’adapter à leurs besoins. Ainsi, ils deviennent à leur tour auteurs.
Ce modèle de développement correspond aux aspirations d’une société démocratique composée de citoyens qui apportent une contribution constructive à la vie publique et ne se contentent pas d’être seulement gouvernés. L’intérêt que suscite le Libre est donc d’abord d’ordre politique. Cet intérêt est exacerbé par le fait que les législations de plus en plus restrictives sur le droit d’auteur évoluent à contresens de l’intérêt du public et deviennent des freins pour la création. Dans ce contexte, les licences libres apparaissent comme une issue légale et pragmatique pour constituer un domaine dans lequel les obstacles à la diffusion et à la réutilisation créative des œuvres sont levés.
Dans le domaine de la création artistique et de la publication scientifique, le modèle du libre correspond aussi à une réalité sociale. C’est l’émergence d’une société d’amateurs qui, à la faveur d’un meilleur accès à l’éducation, au temps libre, aux moyens de production et de communication, s’invitent sur la scène en bousculant parfois les positions établies. Ces amateurs sont les vecteurs, les acteurs et les transformateurs de la culture, ils en sont le corps vivant ; sans eux les œuvres resteraient « lettre morte ».
Depuis le 19ème siècle, avec la création des musées et la naissance du droit d’auteur, notre culture a privilégié les moyens de la conservation pour assurer la pérennité des œuvres. Aujourd’hui, les supports numériques et internet sont en train de devenir les principaux moyens de diffusion des œuvres. Certes, internet est un puissant moyen de communication, mais il n’a pas encore fait ses preuves en tant que moyen de conservation. Ce qui se profile avec le modèle du libre, c’est que parallèlement aux efforts de conservation dont le principe n’est pas remis en cause, une autre forme de pérennisation retrouve sa place dans notre culture ; il s’agit de la transmission, qui fonde aussi la tradition. Or, l’acte de transmission passe par un processus d’appropriation (on ne peut transmettre que ce qu’on a déjà acquis ou assimilé), et cela implique des transformations qui font évoluer les œuvres. C’est la condition d’une culture vivante, une culture portée par des acteurs plutôt que supportée par des sujets.
Les questions se posent:
- Pourquoi cette injonction de l’INPI (organisme public) ?
- Pourquoi cette défense de fait des logiciels propriétaires ?
- Pourquoi la Cité des Sciences a-t-elle accepté cette censure ?
Ailleurs:
Le Libre censuré par l’INPI à la Cité des Sciences ?
Scandaleux : l’INPI censure le Libre d’une exposition qui se révèle alors propagande !
Le logiciel libre indésirable dans l’exposition « Contrefaçon »
Edit (22/04/2010)
L’INPI et la Cité des Sciences voulaient « éviter tout mélange des genres »(Numérama)
« A quelques jours de l’ouverture de l’exposition, le comité de pilotage de l’exposition, a décidé collégialement que ce texte, qui prend la forme d’un sonore, ne figurerait pas dans l’exposition. Nous avons finalement choisi de ne pas aborder le thème du logiciel libre dans cette exposition sur la contrefaçon afin d’éviter toute confusion et
mélange des genres entre libre et contrefaçon, pour un public non-initié. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une censure mais d’un souci légitime de clarté« , indiquent la Cité des Sciences et l’INPI qui co-signent le communiqué.« De manière générale, le logiciel libre trouve sa place aussi bien à l’INPI, qu’à la Cité« , assurent-ils.
L’INPI, qui ne veut pas être taxé d’anti-libre, apporte des preuves de bonne foi. L’Insittut « les utilise largement pour ses propres besoins« , et a notamment « choisi le logiciel libre Typo3 pour la gestion des contenus de ses sites Internet et Intranet, OCS-Inventory et GLPI pour la gestion de son parc informatique, et Nagios pour la supervision informatique« .
Quant à la Cité, elle rappelle qu’elle a depuis longtemps organisé des conférences et des démonstrations d’installations de logiciels libres, et qu’elle soutient le mouvement dans son Carrefour Numérique, tout au long de l’année. Une « Ubuntu Party » y sera organisée gratuitement les 29 et 30 mai prochain.
Donc, acte
C’est quand même « limite » !
Le logiciel libre pouvait servir de mode de conclusion et l’objet d’une conférence ou exposition annoncée pour plus tard.
C’est prendre le public pour plus bête qu’il n’est.
Mamouchka.